Lieux Communs (*)
19-20 novembre 2018
19-20 novembre 2018
Le
mouvement populaire en cours, qu’il le sache ou non, défie toute
l’organisation de la société et récolte un mépris officiel à la
hauteur. Le surgissement de cette colère réveille des questions
enfouies depuis si longtemps que leur simple formulation effraie. Pourtant la
dégradation de la situation générale est telle qu’un choix s’impose entre le
chaos qui s’avance et la reconquête, lente et laborieuse, d’une souveraineté
véritablement collective.
La
colère des « gilets jaunes » est authentiquement populaire
C’était
immédiatement reconnaissable au mépris des médias et des politiciens : le
bourrage de crâne des premiers pendant trois semaines était proportionnel à la
fébrilité du petit personnel politique. Mouvement hors partis, hors syndicats,
hors associations, il démontre en acte le décalage profond entre toutes les
institutions et la réalité du pays. Il ne peut donc qu’être la cible de tous
les chefs, les bureaucrates, les arrivistes et tous leurs discours
bien-pensants qui chantent la « démocratie » mais chouinent dès que
le peuple se manifeste.
Cette auto-organisation
générale contraste avec tous les mouvements précédents
Autant
des mouvements-veto manipulés par les syndicats que des soubresauts récents
(« Pigeons », Bonnets Rouges, jour de colère) ou même les ’coordinations’
des années 1986-88. Il semble plutôt reprendre timidement l’élan et les
pratiques des mouvements ouvriers des XVIII-XXe siècles, aujourd’hui
largement oubliés. Les ’réseaux sociaux’ électroniques ne font donc que jouer
le rôle d’un lien social disparu, mais qui pourrait réapparaître autour d’un projet
politique. Des gens se manifestent, se rencontrent, se découvrent et tâtonnent
pour se constituer en corps politique par l’action.
C’est
un peuple sous les radars médiatiques qui s’est mobilisé
C’est
la ’France périphérique’, celle des grandes banlieues, de la semi-ruralité et
des campagnes. Mais plus généralement celle des milieux modestes en voie de
déclassement, pris en tenaille entre l’oligarchie prédatrice et
l’ensauvagement de l’espace publique. Ce sont les petites gens, les sans-grade,
les « sans-dents », la France « rance » et
« moisie » dont aucun média imbibé de libéralisme et de gauchisme
culturel au service des métropoles festives ne veut entendre parler. Ce sont
tous ceux qui paient depuis quarante ans le prix fort de la ’mondialisation’ :
désindustrialisation, précarisation, désertification, insécurité sociale et
culturelle, etc. C’est évidemment cet abandon qu’expriment épisodiquement
paysans ou employés, artisans ou petits patrons, retraités ou chômeurs,
policiers ou infirmières, en Creuse ou à Mayotte, en Corse ou en Bretagne, en
Guyane ou dans les Vosges.
Les
mots d’ordre initiaux sont simples : contre
les prix élevés, les taxes et l’incurie gouvernementale
Ils
reflètent cet univers abandonné par tous les gouvernements depuis des
décennies et qui n’a plus que son bon sens pour s’orienter au jour le jour. Ils
proviennent du monde de ceux qui ont renoncé, depuis les deux guerres
mondiales, à transformer la société et se sont résignés à se conformer au modèle
qui s’est imposé : ils jouent le jeu du salariat, de l’impôt, du crédit,
de la consommation, de la voiture, de la télé et de la passivité politique
« républicaine ». En échange, l’oligarchie garantissait
l’augmentation du niveau de vie, la société de consommation, la sécurité et la
paix. Ce contrat social, sur chaque point, se défait, et provoque un
ras-le-bol latent à la fois viscéral et diffus mais conservateur puisque
visant à revenir à une situation antérieure jugée comme ’normale’.
C’est
la colère d’un peuple qui commence
à comprendre que ce contrat social ne sera plus
tenu
Que
sa part, réelle et symbolique, diminue au fil des années au profit de tous ces
milieux qui ont décidé de rompre ce qui faisait tenir la société ensemble. Ni
l’abondance, ni la sécurité ne semblent plus assurées. C’est le grand patronat
qui pille le pays et saigne à blanc les salariés ; c’est l’oligarchie
médiatique et politique qui accompagne en souriant le chaos social, culturel
et écologique ; ce sont les classes aisées urbaines et leur haine politiquement
correcte du populo. Et ce sont évidemment tous les bénéficiaires choyés du prétendu
« multiculturalisme » ; élus clientélistes, indigénistes
revanchards, communautaristes racistes, islamistes sécessionnistes, gangs
barbares, mafias internationales, faux réfugiés, etc. Ces prédateurs et
opportunistes de partout et de nulle part escroquent les finances publiques et
la solidarité générale pour asseoir leurs dominations sur plus pauvres, ou
plus scrupuleux, qu’eux.
Plus
profondément, nous assistons à la transformation profonde des
sociétés contemporaines
Les
couches dominantes et la finance internationale ne rencontrent aujourd’hui plus
de résistances populaires conséquentes. Elles prennent des réflexes féodaux,
impériaux, orientaux en instrumentalisant les migrations massives, les
intégrismes et la voyoucratie pour diviser et terroriser les populations afin
d’anéantir toute volonté et toute visée d’auto-détermination des peuples. Et il
y a, en toile de fond, la dévastation écologique qui condamne, de toute façon,
la société de consommation et le mode de vie qui l’accompagne, et qu’annonce la
fin du pétrole à plus ou moins long terme. L’oligarchie se sert évidemment de
la « transition énergétique » pour accroître les inégalités et
affermir sa domination, interdisant toute solution durable. La situation, absolument
nouvelle, est similaire à l’échelle européenne et mondiale.
Les
mouvements populaires plus ou moins radicaux ont donc un
avenir certain
Un
nouvel ordre mondial s’installe, qui balaie la solidarité collective, le cadre
national, l’abondance énergétique et le consumérisme pour tous. Face à cela,
des réactions instinctives de survie surgissent un peu partout, aboutissant au
« populisme », sous diverses formes aux États-Unis, en Angleterre, en
Grèce, en Allemagne, au Brésil, etc. Ces crises de régime peuvent aboutir à des
mesures ponctuelles : relance de la croissance, redistribution relative
des richesses, limitation des privilèges médiatiques, fermeté migratoire ou
juridique, etc. Mais elles ne feront que repousser l’échéance en faisant
perdurer et miroiter un mode de vie qui n’est pas généralisable à toute la planète.
Il n’est pas viable, à terme, ni économiquement, ni énergétiquement, ni
écologiquement, ni culturellement. Il n’existe aucune ’solution
cachée’ : il n’y a que les peuples qui pourraient inventer de réelles
alternatives.
Nous
devons nous confronter aux vraies contradictions qui nous traversent
Quels
que soient les démagogues portés au pouvoir, les problèmes de fond resteront
inchangés car les désirs des populations sont aujourd’hui intenables. On ne
peut pas vouloir du pétrole, du gaz ou du charbon en abondance sans composer
avec les dictatures qui nous les vendent. Il n’est pas possible d’exiger un
niveau de vie croissant tout en dénonçant des catastrophes écologiques ou des
immigrations massives. Lorsque l’on fait grandir des enfants entourés d’écrans
et de gadgets technologiques il ne sert à rien de déplorer la montée de
l’analphabétisme, des pathologies mentales et du désert social. Enfin,
revendiquer plus de démocratie n’a de sens que si le divertissement passe enfin
derrière la réflexion, la délibération et l’action politique. Ces attitudes
contradictoires, les nôtres, sont le terreau de tous les bonimenteurs.
Depuis
plusieurs années, quelques courants évoquent la démocratie directe
C’est
effectivement la seule manière pour le peuple de s’occuper de ses propres
affaires et d’abord de se confronter à lui-même, à ses lâchetés, à ses
responsabilités, à ses choix. Mais cela ne se fera jamais du jour au
lendemain, sinon au profit de quelques manipulateurs comme tous les milieux
politiciens en sécrètent naturellement. La démocratie ne peut que partir de la
base, s’enraciner dans une auto-organisation populaire pratiquée au quotidien,
dans la durée. Des mouvements, trop éphémères, inventent d’autres pratiques
politiques comme la tenue d’assemblée générale, la rotation des tâches, le
tirage au sort, le mandat direct ou la révocation des délégués. Il est donc
question de l’émergence d’une nouvelle culture politique populaire, de
l’apparition de nouvelles formes politique, de l’avènement d’une autre manière
de faire société.
S’engager
dans la voie de l’auto-gouvernement, c’est travailler sur le long terme
C’est
être capable de survivre à la médiatisation, à la récupération, au sabotage, à
la menace et à la répression y compris indirecte. Mais c’est, avant tout,
parvenir à se reconstituer comme un corps politique, face à l’atomisation
sociale, la confusion idéologique, la fragmentation ethnico-religieuse et le
découragement. Les risques d’affrontements violents sont réels et iront
grandissant. Ils n’auront de sens que selon une ligne explicitement politique :
il s’agit de séparer ceux qui veulent reprendre le projet d’émancipation
individuel et collectif dont la France, l’Europe, l’Occident sont encore
porteurs, de ceux qui cherchent à priver les peuples des moyens d’agir sur
leurs destinées au profit d’intérêts particuliers.
(*)
Fuente:Lieux Communs https://collectiflieuxcommuns.fr/?Gilets-jaunes-la-democratie-en-germe&lang=fr
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